REC-U-AIME partition suspendue pour une tricoteuse, une mezzo-soprano et un violoncelle.


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REC-U-AIME partition suspendue pour une tricoteuse, une mezzo-soprano et un violoncelle.


J’ai rarement entendu ma grand mère chanter. Elle n’a jamais supporté le bruit. Pourtant, depuis sa maladie d’Alzheimer son attitude change. C’est ordinaire lors de ces hémorragies mnésiques. La doxa dit que lorsqu’un être vous manque, tout est dépeuplé, mais qu’en est-il lorsque c’est l’être qui se dépeuple?

J’ai pris mon enregistreur numérique bien décidé à conjurer le sort, à freiner la dépossession : celle de ma grand mère et la mienne. L’humble carte SD serait notre tabernacle. J’ai laissé branché l’appareil durant tout le repas. Elle a chanté le couplet d’une chanson de Lucienne Boyer que je ne connaissais pas : « Si petite (1933) ». Sa mémoire lui a fait défaut, elle a buté sur la première phrase du refrain. Elle nous à alors sollicité, ma mère et moi, pour retrouver la suite des paroles. Puis elle a ressassé des souvenirs. Elle a dévidé ses fictions maintes fois racontées, toujours avec les mêmes effets de narration, toujours avec les mêmes commentaires.

J’ai réécouté le fichier sonore. Il fallait que l’épisode murisse, que ce « je me sens dans tes bras si petites... » m’évoque plus une image de la condition humaine, si petit dans les bras de la mort, qu’une relation entre deux amants. J’ai recherché Lucienne boyer et les paroles de cette chanson.
Lentement, le projet Rec–u–aime a macéré. Une pièce pour préparer le deuil à venir. Pièce orchestrale, dont le titre détourne les sonorités de “requiem”, qui est aux compositeurs ce que la robe de mariée est à la Haute Couture. Malgré l’histoire très personnelle qui habite cette pièce, celle-ci parle du corps, de la mort et de la mémoire. En effet, Rec–u–aime est une métamorphose, à plusieurs niveaux, du mnésique et de sa construction physique. Parce que les souvenirs et la mémoire, si on en croit les récentes recherches sur la neuroplasticité, se composent en motifs dans un tressage de synapses sans cesse renouvelé. Pour m’être intéressé à la composition de l’école américaine, cette image n’est pas sans rappeler les dessins, chers à Morton Feldman, qui apparaissent dans le tissage des fils du tapis. En effet aux souvenirs correspondent des figures de connexions synaptiques.

Parfilant ma mémoire et celle de ma grand mère, filant alors la métaphore des connections entre synapses, les souvenirs se métamorphosent en différentes sortes de points de broderie et de tricot, que ma grand mère affectionnait tant, qui deviennent à leur tour autant de figures musicales possibles appliquées à la partition originelle : « Si petite ».







La Ferme du Buisson_Noisiel_2010


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